Je suis étudiante à Polytech depuis plus de deux ans et cela fait quelques mois que j’ai débuté la troisième et dernière année qui me sépare de mon diplôme. Dans moins d’un an, je suis entièrement lâchée dans le monde professionnel, avec mes connaissances scolaires et mes idéaux sociaux, et je pense que, comme nombre de mes camarades d’école, cela a tendance à m’exciter autant qu’à m’effrayer quand j’y pense sérieusement.
Mais en attendant, je suis toujours assise en salle de cours avec la promotion d’étudiant.e.s que j’ai rencontré.e.s à mon arrivée en troisième année en INFO (à l’époque, nous étions encore les RICM). Peut-être se rappellent-elles.ils du tout premier amphi que nous avons partagé. Pour moi, c’est encore si clair que je pourrais croire que c’est arrivé hier. Ou plutôt, même si les murs et les gradins de l’amphithéâtre sont brouillés par la mémoire vacillante, les paroles résonnent encore.
« L’amphi des TIS, c’est à côté les filles ! »
Première phrase que j’ai entendue lors du premier amphithéâtre du premier jour de rentrée. Du sexisme ordinaire jamais corrigé, jamais confronté. Pourtant, il ne s’agissait simplement que d’une blague potache, je l’espère sans arrière-pensée. Et puis, dans les statistiques, il est vrai que la population féminine a toujours été plus élevée dans la filière orientée santé que chez nous. Sur le moment, je n’ai pas été choquée. Je ne le suis toujours pas. Cependant, cette phrase me revient souvent en tête, quand je suis en cours, avec mes ami.e.s, même seule chez moi. Je sais que c’est elle qui m’a poussée à écrire cet article.
Aujourd’hui, en raison des différents départs en semestre à l’étranger, nous sommes cinq filles sur trente-sept étudiant.e.s dans la promotion. Pour les personnes qui préfèrent les pourcentages, nous représentons un peu plus de 13,5% de la population de la classe. Beaucoup diront que c’est peu, d’autres argumenteront que c’est un chiffre qui reflète la réalité du monde du travail. Quand on regarde les différences par spécialité, on trouve 20% d’étudiantes en Multimédia et seulement 5% en Systèmes, un petit chiffre qui s’explique par le fait que je suis toute seule dans cette option. Autant vous dire que j’appréhende le jour où j’oublierai de mettre un tampon de rechange dans mon sac.
« Dyson, vous connaissez bien les filles, vous savez, les aspirateurs et les sèche-cheveux ! »
Cependant, cette situation n’est pas nouvelle : déjà au lycée, les classes d’option scientifique comptent généralement moins de filles que de garçons, un écart qui s’accroît lors des premières années d’études supérieures dans notre domaine. Que ce soit en prépa maths, en PeiP ou en DUT info, mes camarades et moi nous sommes quasiment toujours retrouvées en minorité. L’habitude a donc balayé les possibles inquiétudes que nous pouvions éprouver à chaque début d’année scolaire, au point qu’en septembre dernier, personnellement, ces interrogations me passaient au-dessus de la tête.
Il faut dire que, pour la grande majorité du temps que nous passons en classe, notre genre importe peu. Moins en tout cas que nos capacités de réflexion, la qualité de nos commentaires de code et notre comportement face aux professeur.e.s et aux intervenant.e.s. En travaux pratiques ou en projet, les groupes se forment par affinités, sans distinction de genre. Les interrogations en cours magistraux ou en travaux dirigés peuvent tomber sur n’importe qui, notamment sur celles et ceux qui tentent de se cacher derrière leurs camarades !
« Je suis arrivé [dans ce cours], j’étais bien content, c’était rempli de filles. »
Cependant, il arrive que certains propos maladroits soient prononcés dans ce cadre strictement académique, voire professionnel. Des phrases prétendument innocentes dont j’ai pu entendre nombre de variantes au cours de ma scolarité ici.
Que ce ne soient que des connaissances ou des ami.e.s proches, en passant par certain.e.s professeur.e.s et intervenant.e.s peu délicat.e.s, la réponse à une quelconque indignation reste la même : « Je ne pensais pas à mal, c’est juste une blague. » Une blague. Une blague qui est toujours orientée en direction des étudiantes. Une blague qu’il m’arrive parfois de prononcer moi aussi, toujours sur un ton purement humoristique. Une blague qui fait souvent mal, sans que cela se voie de prime abord.
« Je ne connais personne ici, mise à part [telle étudiante] Sifflements moqueurs pleins de sous-entendus sur la nature de leur relation qui fusent dans l’amphithéâtre.«
Alors pourquoi ne réagissons-nous pas, en tant que victime ou en tant que témoin ? À mes yeux, plusieurs facteurs doivent être pris en compte :
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- ces remarques nous ont été répétées maintes et maintes fois au cours de notre scolarité, et l’habitude aidant, nous n’y faisons plus attention ;
- nous avons, malgré nous, absorbé ce discours sexiste et il est devenu notre norme ;
- la peur de l’ostracisation est également à prendre en compte : nous sommes un groupe classe, une micro-société régie par ses propres règles, et personne n’a envie de passer pour le.la forcené.e de service, la personne sans humour ni second degré ;
- les examens ne sont pas anonymes : nous avons potentiellement peur de voir nos notes pâtir d’une remarque pourtant justifiée à nos professeur.e.s.
« Elle, elle est forcément passée sous le bureau pour avoir la moyenne dans cette matière… »
Je ne dis pas que mes camarades, collègues, professeur.e.s sont indifférent.e.s au traitement dégradant que peut subir une élève de genre féminin au sein de notre promotion. Je souhaite juste souligner que, parfois, elles et ils ne se rendent pas encore compte du poids que portent certaines paroles. Mais heureusement, les mentalités évoluent. Les gens s’ouvrent au dialogue, comprennent la critique et même commencent à s’insurger à leur tour. Les remarques sexistes prononcées par les intervenant.e.s provoquent un vent de contestation au sein de l’amphithéâtre, les propos incriminés sont rapportés à nos responsables parce qu’ils ne peuvent être tolérés à l’école. Le chemin est encore long, mais nous progressons tous les jours.