Chapitre 6 – Retour à la case départ
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A 10h30 pétantes, la réunion commence. Après les formalités d’usage, Helena en vient à expliquer les raisons de sa demande. Elle leur annonce qu’elle est enceinte et que suite à plusieurs tests médicaux, il lui est recommandé de ralentir son rythme de travail. C’est à cet effet qu’elle souhaite changer son contrat de travail à temps plein en un contrat à temps partiel, juste pour le reste de sa grossesse. A la fin de son congé maternité, elle aimerait néanmoins réintégrer son poste actuel à plein temps. En entendant la nouvelle, Pascale est ravie pour Helena, elle-même n’a jamais eu la chance d’avoir des enfants. Mais à son avis, elle devrait totalement arrêter de travailler ; il est certes glorifiant pour une femme d’avoir une carrière mais ce n’est pas le rôle d’une mère. Une mère doit être à la maison pour s’occuper de son enfant et du foyer pendant que son homme subvient aux besoins du foyer. Et puis si elle n’est pas tout le temps à la maison après la naissance de son enfant, son compagnon sera plus tenté de prendre son congé paternité pour la remplacer auprès du bébé. Compagnon qui est dans l’entreprise, ce qui lui ferait perdre de son efficacité, déjà qu’il va falloir essuyer la future perte de performance d’Helena… Parce que, sans compter sa demande de temps partiel, si elle revient après son congé maternité, ce ne sera quand même pas comme maintenant où elle peut faire des heures supplémentaires et n’a que ses missions à penser… Après il y aura les congés pour bébé malade, les départ plus tôt pour récupérer le petit à l’école, etc etc. Pascale n’approuve pas vraiment le projet d’Helena d’être mère et de continuer à travailler. Ophélie elle, est surprise. Elle ne connait pas vraiment Helena mais elle imagine sa situation : une jeune femme, tout juste arrivée dans le milieu professionnel et qui tombe enceinte. Elle se doute que la situation d’Helena doit être dure et elle éprouve de la compassion envers elle. Mais malgré ces bons sentiments, jamais Ophélie ne s’hasarderait à lui exprimer oralement son soutien : elle ne connait pas assez la situation sociale d’Helena dans l’entreprise pour risquer de s’attirer des ennuis. Et puis Helena a le soutien de son compagnon, un autre employé de l’entreprise ce qu’on dit. C’est bien pour eux : la politique d’Automob’Act est de soutenir les jeunes pères. Son compagnon pourra donc profiter des 3 jours de congé de naissance puis des 11 jours de congé paternité.
A la fin de la réunion, les trois femmes se séparent et Helena espère que la décision finale sera prise rapidement et le plus en sa faveur possible. En retournant à son bureau, elle constate que 2 nouveaux dossiers y ont été déposés. Elle ne s’est pas encore attelée aux premiers car elle n’a pas terminé ses rapports mais elle compte pouvoir s’y mettre dès l’après-midi. Et en effet, quand arrive la pause déjeuner, Helena a fini ses rapports. Elle se dirige vers l’accueil pour proposer à Justine de manger avec elle et elle ne peut s’empêcher de remarquer les regards que les gens lui portent sur son passage. En arrivant dans le hall d’entrée, plusieurs petits groupes d’employés s’arrêtent de parler pour mieux la dévisager. Un malaise montant envahi Helena qui baisse la tête et fonce droit sur son amie. En entendant les bavardages s’interrompre, Justine lève brièvement les yeux et c’est là qu’elle voit Helena se précipiter vers elle. Elle enregistre et ferme aussitôt ses fenêtres de travail puis se lève en prévenant ses collègues qu’elle prend sa pause déjeuner. Elle rejoint Helena de l’autre côté du comptoir et attrapant son bras, l’entraine à l’extérieur du bâtiment. Pendant qu’elles mangent, Helena lui parle des comportements étranges dont elle a été témoins. Justine sait déjà tout ça. Toute la matinée, elle a vu les gens commérer en toute indiscrétion dans le hall d’accueil. « Finalement c’était pas les fêtes… » « Je t’avais bien dit qu’elle avait pris des seins ! » « Je me disais bien que je la trouvais plus négligée » … sans compter les personnes sans gêne qui, connaissant ses liens proches avec l’intéressée, étaient directement venus la voir pour qu’elle leur en apprenne plus ! Bien entendu, Justine les avait élégamment envoyés promener. Aussi, sans lui exposer les détails des moqueries et des racontars, Justine explique à Helena l’incident du vendredi matin. A présent, une bonne partie des employés doivent être au courant de sa grossesse, grâce à la propagande de Brian… Helena tombe des nues. Elle n’avait pas l’intention d’avertir toute l’entreprise de cette nouvelle. Choquée, Helena a du mal à entendre la voix de Justine qui lui assure qu’elle la soutient et lui demande ce qu’elle peut faire pour l’aider… Helena pense à ses craintes qui se réalisent : maintenant elle est exposée aux jugements de tous ses collègues ! Que vont-ils penser ? Que vont-ils dire et surtout que vont-ils ne pas dire… Et Marc ! Lui qui voulait être discret… Que vont-ils penser de lui ? Et lui… que va-t-il penser d’Helena… Ce n’est pas vraiment sa faute mais si elle n’avait pas craqué devant Frédéric, Henry ne serait peut-être pas arrêté et il n’aurait pas entendu la nouvelle et il n’aurait pas demander à Justine et Brian n’aurait pas entendu ! Si seulement elle avait été plus forte… si seulement elle était plus forte ! Helena se perd dans un tourbillon de pensées. Justine doit lui secouer légèrement l’épaule pour qu’elle reprenne pied dans la réalité. « Oui, ça va, ne t’inquiète pas… J’ai juste été surprise ». Les propos d’Helena ne rassurent pas vraiment Justine qui voit son amie triturer nerveusement le coin de sa veste, les yeux apeurés.
En rentrant de la pause déjeuner, Helena ne croise le regard de personne. Elle entend les conversations se suspendre sur son passage et décide de fermer son esprit pour ne plus s’en rendre compte. Helena s’installe à son bureau et commence à s’occuper du premier dossier. Celui-ci traitant d’un cas très simple et demandant majoritairement de compléter des formalités théoriques, Helena s’en occupe machinalement. Son corps et son cerveau effectuent un travail mécanique mais sa concentration est ailleurs. Elle le termine rapidement en environ deux heures et demi. En ouvrant le deuxième dossier, elle constate qu’il est à peu près similaire au premier. Sur sa lancée Helena le finit en deux heures. Vers 17h30, elle ouvre le troisième dossier et découvre qu’il s’agit encore du même type. Surprise et un peu décontenancée, Helena parcours la pile des cas qu’elle doit traiter et constate qu’ils suivent tous le même modèle : peu de réflexions et beaucoup de procédures. Le type de documents qui lui étaient confiés lorsqu’elle était stagiaire dans l’entreprise presque 3 ans auparavant. Helena décide d’aller voir Frédéric. Elle imprime ses rapports du matin et les 2 dossiers qu’elle vient de traiter et se rend dans le bureau de son supérieur. La porte est ouverte et Helena toque légèrement avant d’entrer. Frédéric est concentré derrière son écran d’ordinateur. Elle dépose les documents sur son bureau et Frédéric marmonne de vagues remerciements. Helena hésite devant son indisponibilité manifeste. Elle renonce finalement, retourne à son bureau et ne le quitte pas avant d’avoir fini le troisième dossier. Elle finit par rentrer chez elle à 19h45, fatiguée de sa longue journée et appréhendant le lendemain.
Mardi 25 février, Helena regarde Marc quitter leur lit après l’avoir embrassée. Elle n’a pas eu le courage de lui dire hier que toute l’entreprise est au courant qu’ils attendent un enfant. Et Marc ne semble pas avoir vécu de différence au travail donc pourquoi le stresser… D’autant qu’il faudrait lui expliquer l’altercation qu’elle a eu avec Frédéric le vendredi précédent… Helena ne veut pas lui montrer à quel point elle a été faible face à l’intrusion totalement informelle de Frédéric dans leur vie privée, elle ne veut pas qu’il la méprise… Elle s’en veut, elle sait qu’elle doit lui dire mais alors qu’elle ouvre la bouche pour l’interpeller, les mots restent bloqués dans sa gorge. Elle lui dira ce soir… En arrivant au travail, comme la veille, elle baisse les yeux et se rend directement à son bureau où se trouvent trois nouveaux dossiers. Helena n’a besoin que d’un coup d’œil pour se rendre compte qu’il s’agit encore du même genre de dossier. Elle dépose ses affaires et se rend dans le bureau de Frédéric. Après s’être fait invitée à entrer et l’avoir salué, Helena demande à Frédéric pourquoi il lui a donné une pile de dossiers de niveau stagiaire. Son supérieur lui lance un regard puis lui explique distraitement que ce sont des dossiers urgents et qu’elle ferait mieux d’y retourner au plus vite. Helena n’est pas vraiment convaincue par ses explications mais elle choisit quand même de se retirer et d’obéir à Frédéric. En retournant à son bureau, elle croise Brian. Il est accoudé à la machine à café et parle avec deux compagnons. Helena en reconnait un pour être un proche collègue de Marc. « Elle a pris au moins un bonnet ! Qu’est-ce que ça va être dans quelques mois haha ! J’ai hâte les gars ! ». Sans le saluer, Helena passe son chemin et ce n’est que lorsqu’elle entend un sifflement provocant que les mots de Brian prennent leur sens et qu’elle comprend qu’ils parlaient d’elle. Elle accélère d’un coup et sens les larmes lui monter aux yeux. Au lieu de se rendre à son bureau, Helena se presse vers sa voiture. A peine referme t’elle la portière derrière elle qu’elle fond en larme. Serait-elle en train de faire une Patrick, quoi que cela puisse dire ? C’est très dur pour elle et plusieurs minutes passent avant qu’elle ne pense aux conséquences de sa crise. Il faut qu’elle sorte de la voiture, et qu’elle retourne dans l’entreprise la tête haute. Elle ne peut pas se permettre d’alimenter plus encore les commérages. Elle respire un grand coup, sèche ses joues et sort de la voiture. Elle baisse les yeux et fait tomber ses cheveux autour de son visage pour mieux le dissimiler. Et pour ses yeux rouges, elle répondra à qui veut l’entendre qu’elle a eu un problème avec ses lentilles de contact. A peine est-elle arrivée jusqu’à son bureau que déjà les murmures reprennent autour d’elle. « Elle a les yeux rouges… », « Qu’est ce qui s’est passé », « C’est surement les hormones ! », « J’ai entendu… », « … Brian l’a vu … ». Helena lève la tête d’un coup et tempête « J’ai eu un problème avec mes lentilles d’accord ! ». Pris en flagrant délit, ses collègues se dispersent en continuant de murmurer. « Pas la peine d’être si désagréable ! – Laisse, c’est les hormones j’te dis ». Helena se tourne vers son ordinateur, honteuse d’avoir explosé comme ça, surtout que sa réaction n’est que friandise pour ces gens. Fermant les yeux, elle se promet de ne plus jamais réagir quitte à… Non, il ne juste plus qu’elle réagisse, point. Helena se coupe de la pièce et des gens qui l’entourent. Son esprit est vide, sa vision est trouble. Elle prend le dossier en haut de la pile et se remet au travail.
La journée se déroule très lentement et Helena ne s’arrête pas une seconde pour prendre une pause. Elle ne veut pas se lever de son bureau et affronter le regard des autres, elle ne veut pas les voir, elle ne veut pas qu’ils la voient. Le temps passe et elle continue de remplir ses dossiers insignifiants. A 18h, son ventre gargouille mais elle ne s’en rend pas compte, son corps est très faible mais elle ne s’en rend pas compte. Elle n’a pas pris de pause déjeuner, de même qu’elle n’a pas vu les aiguilles tourner dans le cadrant de sa montre. C’est le petit son aigu d’une notification prioritaire qui la sort de sa torpeur robotique. Elle cesse de taper frénétiquement sur les touches de son clavier lorsqu’elle lit l’objet du mail qu’elle vient de recevoir : « Précisions rapport du dossier B-3033 ». Il s’agit du dossier sur lequel elle travaillait jusqu’à la semaine dernière. Le gros dossier pour lequel elle a travaillé tant d’heures supplémentaires, passé tant de coup de téléphone et envoyé tant d’emails. Son collègue, Michel Rermet, lui envoyait un mail pour lui demander des précisions sur son dossier à elle ! Son projet, son bébé ! Helena ne comprend pas. Si elle ne travaille plus dessus actuellement, c’est parce que Frédéric lui a demandé de s’occuper prioritairement d’une pile de petits dossiers ridicule ! Il n’y a pas de raisons pour que Michel lui envoie un mail demandant des précisions ! D’abord il ne connait rien à ce dossier ! … Mais dans quel but Frédéric lui a-t-il demandé de faire des rapports sur ses projets en cours ? Helena veut en avoir le cœur net et décide de retourner le voir. En arrivant dans son bureau, elle le confronte au mail qu’elle vient de recevoir. Elle voit l’hésitation sur le visage de Frédéric puis il se tourne vers elle et avec une expression teintée de condescendance il lui avoue qu’il a appris de la réunion qu’elle demandait un temps partiel sur avis médical. Il a donc pris la décision de lui donner des petits dossiers très satisfaisants à faire puisqu’ils sont assez simples. « Ce qui est bien c’est que tu peux te détendre en les faisant, ça va te faire du bien ! ». Alors qu’Helena est sur le point de protester, il rajoute qu’avec sa demande de temps partiel, il fallait de toutes façons que quelqu’un prenne la relève sur ses dossiers ! Ce sont des dossiers à temps complet ; et oui, si elle n’est pas capable de les faire, il faut bien que quelqu’un s’en charge à sa place, parce qu’ils restent très importants pour le développement de l’entreprise. Comme si Helena ne le savait pas… Bien sûr qu’elle le sait, c’est une des raisons pour lesquelles elle a mis son cœur et sa santé dedans ! Ravalant son amertume, elle remercie Frédéric de ces précisions et quitte sur bureau alors qu’il déclare « C’est pour toi que je fais ça ». C’est pour elle qu’il ça… c’est pour elle qu’il fait quoi ? Qu’il la met au placard ? Qu’il lui retire ce qui compte pour elle ? Qu’il lui retire des responsabilités pour la relayer au rang de stagiaire à nouveau ? Alors que SI, elle est capable ! Helena fulmine. Son cerveau se repasse sa conversation avec Frédéric. Ne lui a-t-il pas dit qu’il avait pris sa décision après avoir lu le rapport de la réunion ? Mais pourtant il lui a demandé de faire ses rapports et de remplir ces dossiers minables dès son arrivée la veille, avant même que la réunion n’ait eu lieu ! Il avait donc dès le départ l’intention de la mettre au placard… Frédéric, son tuteur, son supérieur, même lui ne la soutient plus… La demande de temps partiel est déjà une horrible concession pour Helena, qui souhaite à tout prix rester impliquée dans l’entreprise ! Mais là, on lui retire ce pourquoi elle s’est impliquée, on l’isole… La décision de Frédéric est un cadeau empoisonné. Helena prend ses affaires et part de l’entreprise.
Pour une fois, c’est Marc qui rentre le dernier du travail. Il lui en fait la remarque et Helena ne répond rien. Visiblement, il n’a toujours pas remarqué qu’elle était la cible de tous les commérages et que toute l’entreprise était au courant de sa grossesse. Helena décide de ne pas lui dire. Après tout, s’il n’a pas remarqué, c’est qu’il ne s’y intéresse pas vraiment. Elle se sent plus seule que jamais. Marc prépare un nouveau déplacement qui aura bientôt lieu : il part dans la matinée du vendredi (le 28 février) et revient dans la journée du dimanche 1er mars. Ce départ rend Helena nerveuse qui ne sait toujours pas où en est Marc dans sa demande de réduction de déplacements. Le fait d’y penser la pousse à poser de nouveau la question à son compagnon. Absorbé dans ses pensées, ce-dernier lui présente ses excuses, expliquant qu’il a tant de choses à s’occuper qu’il a oublié, qu’il va demander bientôt, qu’elle ne doit pas s’inquiéter. Helena se laisse aller dans ses bras, bien loin d’être rassurée.
Auteure ou autrice (va falloir choisir un jour) : Lorysse Marchal
Le chapitre 7 la semaine prochaine !